Le ciel égyptien
le plafond astronomique de la tombe de Semnout
Par Violaine Vanoyeke
Science & Vie N°982, juillet 1999
Sous le regard des dieux
Le plafond astronomique est divisé en deux parties. Dans l'une sont représentées les divinités. Dans l'autre se trouvent les douze cercles symbolisant les douze mois de l'année.
Les savants et les prêtres égyptiens savaient mesurer et découper le temps. C'est dans la deuxième tombe de Senmout grand intendant d'Amon sous le règne d'Hatchepsout qu'on trouve le premier plafond astronomique découvert en Egypte. Il représente le ciel en 1463 avant notre ère...
Avant que Jules César n'instaurât, en 46 avant notre ère, le calendrier julien, les Romains se basaient sur l'année lunaire de 354 jours, qui commençait en mars. Le mois intercalaire qui devait être inséré tous les deux ans entre janvier et février était souvent oublié. Nous avons adopté la longueur, le nom et la disposition des mois du calendrier julien, ainsi que la semaine de sept jours divisés en vingt-quatre heures et débutant à minuit. Mais les Egyptiens avaient déjà procédé à un savant découpage du temps.
Etrange destin
Cet autoportrait de Senmout figure dans le premier couloir de sa seconde tombe, située dans le cirque de Deir el-Bahari, non loin du temple d'Hatchepsout.
Simple paysan, il devint le principal personnage de l'Etat au côté de la femme pharaon. Sa mort même reste un mystère.
Le premier plafond astronomique découvert en Egypte se trouve dans la deuxième tombe de Senmout (Louxor), grand intendant d'Amon sous le règne d'Hatchepsout (XVe siècle avant J-C.). La représentation des diverses manifestations du temps deviendra une décoration habituelle des tombeaux Les savants donnaient des noms aux heures de la journée. La première était " la resplendissante ", la sixième, " la plus haute ", la douzième, " le Soleil s'unit à la vie ", la première heure de la nuit, " la défaite des ennemis de Rê "; la dernière, " celle qui aperçoit Ré lumineux ". Le peuple avait coutume de désigner plus simplement les heures par des numéros.
Bien qu'il soit inachevé, le plafond de la tombe de Senmout peut être reconstitué. Douze cercles représentent les douze mois de l'année. Chaque cercle est divisé en vingt-quatre parties symbolisant les heures qui ne comprenaient pas de divisions équivalant à nos minutes ou à nos secondes.
Tombe de Senmout, les douze mois de l'année représentés par douze cercles divisés en vingt quatre parties - les heures - disposés de part et d'autre du méridien
LES TROIS SAISONS DE L'ANNÉE
Le méridien placé sur l'équateur est représenté par un triangle à la base étroite. Sur ce triangle se trouve le dieu Anu et un taureau portant sur le corps un hiéroglyphe qui signifie " Grande Ourse ", l'étoile placée, selon les Egyptiens au bout du méridien. Sur le plafond cette étoile culmine. Or la culmination de la Grande Ourse paraissait se faire au mois de mars, dans la nuit du 18 au 19, La rencontre du bout de la lance qu'Anu pointe en direction du taureau (donc de la Grande Ourse) et du bout du méridien représente le pôle Nord.
L'année se disait " renpit " et s'écrivait avec une pousse et un bourgeon. Les Egyptiens la divisaient en trois saisons égales. Une période de cent vingt jours, appelée " chemou ", atteignait sa durée de vie dans la nuit du 18 au 19 mars. Cinq jours étaient ajoutés à la fin de cette saison pour obtenir une année de 365 jours. On entrait alors dans la période la plus chaude.
Un savant découpage
Les médaillons ci-dessus reprennent des détails du plafond astronomique de la chambre de Senmout, dont l'ensemble est daté de 1463 avant notre ère.
Dans la tombe de Senmout, une première chambre funéraire présente le plus ancien plafond astronomique égyptien y figurent les planètes.
Puis venait la saison appelée " akhit ", l'inondation. Cette période commençait le 16 juillet. Sirius (en égyptien, " Sôpdii "), l'étoile la plus brillante, apparaissait juste avant le lever du Soleil, marquant le nouvel an. Les Egyptiens considéraient la crue du Nil comme les larmes d'Isis et assimilaient l'étoile Sirius à Isis ce qui explique sa présence sur le plafond de Senmout.
Cent vingt jours plus tard, dans la nuit du 14 au 15 novembre, culminait Orion, que les Egyptiens nommaient " Osiris ". Débutait la saison de " perit ". Pendant cette " saison des germes ", les paysans labouraient.
Les larmes d'Isis
Parmi les divinités représentées sur le plafond de Senmout figure Isis, debout sur une barque. La déesse symbolisait Sirius, l'étoile la plus brillante; son apparition en juillet juste avant le nouvel an égyptien, annonçait la crue du Nil - autrement dit les larmes d'Isis.
Les Egyptiens avaient coutume d'indiquer une date en disant " le premier, le deuxième jour du mois d'akhet, de perit ou de chemou. Certains jours étaient tenus pour fastes ou néfastes. Ainsi, trois jours de la fin du troisième mois de l'inondation étaient-ils favorables parce qu'Horus avait autrefois cessé de lutter contre Seth. En revanche, d'autres jours étaient redoutés le troisième jour du deuxième mois de perit, parce que Seth avait de nouveau commis des méfaits. Les pharaons évitaient de prendre des décisions le jour anniversaire de la naissance de Seth.
On établit un calendrier des jours fastes et néfastes, mais il variait selon les lieux. Certaines années, les Egyptiens estimaient, cependant, que les mois ne se trouvaient plus à leur place. Ces années redoutées s'appelaient " renpit gab ".
Si l'on tient compte de tous les détails du plafond de Senmout - disposition des astres, apparition des planètes… - il est possible de le dater avec précision. Le premier mois se trouve en haut et à droite du dessin le dernier, juste au-dessous. Debout dans sa barque, Orion apparaît dans la seconde partie de la représentation générale, au milieu de la scène. En face de lui, la déesse Isis se tient debout dans un navire. Saturne et Jupiter, éga1ement dans une barque, sont placés derrière Isis. Derrière eux devrait se trouver Mars tel qu'il figure dans des schémas plus tardifs, mais les seules autres planètes représentées sont Mercure et Vénus, cette dernière sous la forme d'un oiseau.
Dynastie de femmes
Seuls les visages empreints de sérénité émergent de cette statue cube. Il s'agit du grand intendant d'Amon, Senmout, tenant sur ses genoux Néférourê, la fille d'Hatchepsout. Celle-ci aurait souhaité fonder une dynastie de femmes et songé à mette Néférourê sur le trône.
La planète Mars est donc absente de la scène. Il ne semble pas qu'on en ait perdu la trace dans un fragment endommagé. Pour dater le plafond, il faut donc considérer une date où Mars n'apparaissait pas aux Egyptiens, dans une nuit du 14 au 15 novembre, puisque Orion culmine sur le schéma. Il faut également tenir compte d'une année où Senmout était en vie. Selon une autre indication, située prés de la représentation de Jupiter (une ligne ascendante entre 75 et 95 degrés), l'étude des experts permet d'avancer pour cette représentation l'an 1463 avant notre ère.
Les Assyriens n'ont adopté le calendrier que vers 1100 avant J-C. (ils l'empruntèrent aux Babyloniens). Ce calendrier était constitué de douze mois de trente jours. Un mois intercalaire était ajouté à la fin du premier ou du deuxième semestre et prenait le nom du mois précédent. Le début de l'année (mois de Nisan en mars-avril) coïncidait avec la première lune suivant l'équinoxe de printemps.
TABLES D'ÉTOILES ET CLEPSYDRES
Selon les croyances assyriennes, le ciel représentait un royaume identique à celui de la Terre, divisé en diagonales, celle d'Anu, qui comptait vingt-trois étoiles au-dessus, celle d'Enlil aux trente-trois astres; enfin, celle d'Ea de quinze étoiles. Les Mésopotamiens possédaient des tables d'étoiles précisant la distance qui séparait un astre d'un autre, Ils avaient à leur disposition des clepsydres, des gnomons et des polos (demi-sphères concaves munies d'une aiguille dont l'ombre sur les parois graduées était étudiée pour calculer l'heure d'une journée), que les Grecs et les Romains utiliseront plus tard. Pour fixer le début du mois, les Assyriens observaient l'apparition de la Lune et des astres, la longueur des jours et des nuits et les éclipses de Lune.
Anu, le dieu hiéracocéphale, se tient debout sur le méridien.
Les savants et les prêtres égyptiens se servaient eux aussi d'appareils pour mesurer le temps. Certains datent de l'époque de Senmout. On a retrouvé sur les clepsydres des dessins semblables à ceux du plafond de sa tombe, les dieux des douze mois et les trente-six décans que paraît surveiller Thot, le dieu des savants.
Il faudra attendre les astronomes chaldéens du IIIe siècle avant notre ère, tels que Soudinès de Pergame et Naburianos ou Hipparque et Kidinnu, pour progresser dans les connaissances astronomiques.
Senmout a fait figurer le premier jour du neuvième mois
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